Croisement urbain, politique et historique. La Place Maubert, entre Mstislav Rostropovitch et François Mitterrand





Je me retrouve aujourd'hui à un nouveau croisement de chemins.

En parcourant le boulevard Saint Germain, dans les deux sens ou en descendant la rue Monge.

La Place Maubert ne vient pas s'imposer aujourd'hui par hasard, mais par nécessité de remettre en place mes souvenirs parisiens, dans le désordre, mais dans mon besoin de voyager au plus proche de mes refuges passés. 

Une série de sept émissions préparées par France Musique ponctuent ce mois de juillet qui se rafraîchit heureusement vers sa fin. 

On se souvient forcément de la présence active du violoniste devant le Mur de Berlin en cours de démolition, en novembre 1989. 

Fin d'un monde ? 

L'histoire récente, en ce début de siècle, a prouvé que les démons n'étaient pas morts.



Le 10 novembre 1989, le musicien interprète une suite de Bach au pied du mur de Berlin. Cliché Emmett Lewis

Je me souviens de Mstislav Rostropovitch dans Paris, mais de nombreux détails de sa vie me manquaient. France Musique me les propose, en regard de chaque étape musicale de sa vie.  

"Né en 1927 à Bakou, Mstislav Rostropovitch grandit à Moscou dans une famille de musiciens professionnels, avec une grande sœur violoniste, une mère pianiste, un père violoncelliste et premier professeur. Ce dernier meurt pendant la guerre, laissant au jeune Slava la charge de la famille."

La ville de Bakou où j'ai effectué ma dernière mission, il y a tout juste dix ans, me semble soudain différente, plus musicale, même si en ce mois de juillet 2014 j'avais assisté à différents concerts dans cette luxueuse station du Caucase de Gabala où tous les ministres de la Culture et du Tourisme étaient venus se divertir, jouer au golf et participer aux méchouis.



Festival de Gabala. Juillet 2014. Cliché MTP.


"L’Union soviétique des années 1960’ est celle de la censure des défenseurs des droits de l’homme, tels qu’Andreï Sakharov, de la diffusion des œuvres clandestines et de la rencontre entre Rostropovitch et Soljenitsyne. Malgré les réticences de Galina, le violoncelliste affiche publiquement son soutien à l’écrivain via une lettre ouverte. Cette fois, le pouvoir ne pardonne pas."

Combien d'assassinats politiques et d'emprisonnements cyniques depuis vingt ans en Fédération de Russie ?

"Soljenitsyne finit par quitter la datcha en 1973 pour être arrêté en 1974, il sera forcé à l’exil sous menace de peine de mort. Rostropovitch parvient, quant à lui, à jouer à Paris et à voir son ami Britten grâce à l’influence du violoniste Yehudi Menuhin. Mais l’étau se resserre, les concerts sont annulés. Le 10 mai 1974, il donne son ultime concert sur le sol soviétique : il dirige les étudiants du Conservatoire de Moscou dans la 6e Symphonie de Tchaïkovski, la Pathétique. Le violoncelliste s’envole le 26 mai 1974 pour Londres puis Paris, rejoindre Galina et les deux filles."

Je sais qu'il a habité le 17eme arrondissement où une rue porte désormais son nom, mais mon souvenir revient se placer au centre de Paris. Je l'ai aperçu à plusieurs reprises, à la fin des années 70, dans l'espace situé entre la rue des Ecoles et le boulevard Raspail, sur le trottoir qui fait face à la salle de la Mutualité et à l'église Saint Nicolas du Chardonnet qui a marqué l'actualité de ces mêmes années par son "occupation" par les tenants d'une église traditionnaliste .

Souvenirs fugaces, mais marquants.

Ils se redoublent pour moi de l'amitié qui relie le musicien à l'entrepreneur Antoine Riboud.

Je pensais que l'industriel avait ramené le musicien depuis l'URSS dans son avion. Je n'en retrouve pas trace sur internet. Par contre je lis qu'il l'a accompagné à Berlin pour ce fameux concert autant improvisé que rétrospectivement symbolique.

Mais ce dont je suis certain par contre, pour avoir vécu dans le village de Neuvecelle en Haute-Savoie, c'est que le PDG de BSN - Danone, propriétaire des eaux d'Evian, a fait construire ce magnifique lieu tout en bois, d'une sonorité incomparable, qui se nomme "La Grange au Lac", devant lequel je suis souvent allé me promener, avant d'y assister à un concert particulièrement symbolique, puisqu'il se déroulait quelques jours après l'entrée des troupes russes en Ukraine, il y a trois ans.

Le soliste russe Boris Brovtsyn a joué ce soir du 27 février 2022 le concerto en ré mineur pour violon de Sibelius, sous la direction de Daniel Kawka en portant un tee-shirt bleu et un pantalon jaune aux couleurs de l'Ukraine. 

Chacun comprendra ce symbole émouvant qui n'a pas fini de marquer un déchirement et même un danger mortel qui continuent de nous atteindre tous les jours, depuis.



Clichés MTP.
  



Mais la Place Maubert me situe à d'autres confluences, certainement du fait de sa proximité avec mon université.

Une habitude dès 1964, d'aller y prendre un café. Et plus encore, à partir de 1967, d'aller y déjeuner très souvent le lundi midi, entre deux séances de travaux pratiques de botanique que j'assurais, avant la séance du soir où j'aimais rencontrer les étudiants "travailleurs" qui venaient s'initier à la biologie végétale, après une journée de bureau ou d'atelier.

Je ne peux calculer le nombre de sandwichs et de croque-monsieur que j'ai engloutis en terrasse ou en salle au coin de la rue de Bièvre, dans un établissement qui, à l'époque, était tenu par le Président des cafetiers auvergnats de Paris.

Certainement un homme clef pour la profession, mais qui logeait, sans le deviner encore, pas plus que moi, à deux pas d'un futur président de la France : François Mitterrand.    

On sait, depuis, que l'homme politique, alors Secrétaire du Parti socialiste français, vivait entre deux familles. Mais le lundi, j'ai eu à plusieurs reprises, l'occasion de le voir quitter la rue, coiffé de son chapeau inoubliable, concluant certainement le week-end qu'il consacrait à l'un des deux foyers situé au N° 22.

Visions brèves, puisqu'il hélait un taxi qui devait le conduire rue de Solférino au à l'Assemblée Nationale. 

D'une politique internationale à l'autre.

Destins croisés.

De l'Atlantique à l'Oural ?



Cliché. Le Figaro. 


Je ne reverrai le Président de près que vers la fin de son second mandat en janvier 1995, alors qu'il venait, dans l'enceinte de l'hémicycle du Conseil de l'Europe qui servait aux deux assemblées européennes (le bâtiment Louise-Weiss ne sera inauguré qu'en 1999) adresser un message de portée urgente, qui pourrait être encore prononcé aujourd'hui, pratiquement dans les mêmes termes :

"Une Europe économique et monétaire forte, voilà la condition du bien-être des Européens. Mais est-il nécessaire de le soutenir devant vous ? Non ! Je le fais par souci de logique dans mon exposé.

Vous qui êtes les élus des peuples européens, vous savez que la construction de cette Europe là ne sera possible que par l’adhésion réelle des citoyens eux-mêmes.

L’une des difficultés principales que nous avons rencontrées pour obtenir l’accord de nos concitoyens lors de la ratification du traité de Maastricht, était due à l’effet de surprise. Un certain nombre de gens informés, qui voyagent, qui ont des contacts avec l’étranger, ou bien la partie du public qui lit, qui s’informe, qui étudie, était acquise à l’Europe. On s’était peut-être un peu trop reposé là-dessus ; le peuple, dans ses profondeurs, était pour mais ignorait les conditions nécessaires pour y parvenir, lesquelles conditions pouvaient paraître contraignantes."

Il est passé près de moi en sortant de l'enceinte, épuisé, le teint cireux, soutenu par des amis.

Un an plus tard, presque jour pour jour, il quittera ce monde.

Ainsi vont les souvenirs. 

Et il reste des paroles fortes, même si elles sont controversées. 

Et il reste des enregistrements vers lesquels je reviens régulièrement et ces sept émissions qui pourront être prolongées par autant de podcasts, pendant le temps où nous rechercherons, amateurs comme professionnels, à réentendre ce toucher qui n'était pas seulement que musical. 



 Deux époux en communion. Cliché @Getty Hulton-Deutsch collection

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