A la recherche d'un Paris disparu. Les traces. (1) L'usine Félix Potin.




D'un siècle à l'autre. Carte postale et Cliché MTP.


Comme je l'ai écrit dans l'introduction à cette recherche des disparitions / réapparitions du quartier qui vient de m'accueillir en m'amenant à chaque pas à rendre hommage à mes parents, je me trouve avec étonnement au plus proche d'un bâtiment emblématique du passé : "A proximité encore plus grande de l'ancienne usine "Félix Potin" dont le bâtiment m'interpelle tous les jours, au point de m'inviter à inaugurer ma recherche urbaine et à commencer à écrire plus formellement sur lui.".

De fait, ce vestige ne constitue qu'une partie infime de l'énorme complexe de cette marque née au Second Empire et définitivement disparue au milieu des années 90. 

Ce bâtiment qui me fascine - tout est relatif - était lié à une activité de confiserie et à celle de la charcuterie, dont les productions étaient ensuite distribuées dans toute la France. 

Il l'était tout autant en ce qui concerne l'activité sucrière avec laquelle les contemporains de ma génération sont certainement plus familiers. 

Pour faire connaître et faire apprécier ces productions, la marque a ouvert une vitrine principale Boulevard de Sébastopol quand les grands boulevards ont été percés pour restructurer la capitale.  



Tableau représentant la queue à la porte de l'épicerie Félix Potin du boulevard de Sébastopol pendant le siège de Paris en novembre 1870 (œuvre d'Alfred Decaen et Jacques Guiaudmusée Carnavalet).


Ce n'est pas que cette marque me soit étrangère, même si cet édifice m'a supris, puis a fini par faire partie de mon environnement habituel. 

Tout au contraire : j'ai l'impression qu'elle sonne à mon oreille enfantine de l'après-guerre, comme le font aujourd'hui "Carrefour" ou "Monoprix" pour mes enfants et petits-enfants.

Mais pour moi, elle reste attachée au sucre et donc à cette usine vide qui a connu des délices épiciers. Espace imposant, dont les portes sont parfois recouvertes de graffitis, très vite enlevés par des vigiles ou des ouvriers qui semblent responsables de travaux d'avenir. 

Je ne peux que faire un lien historique avec l'usine Panhard qui semble faire un pendant architectural dans le Sud de Paris. Là où mes promenades dans le XIIIème arrondissement, avenue d'Ivry, m'ont amené à jeter un oeil vers les bureaux paysagers qui ont été installés dans la plus ancienne usine automobile de la capitale (1891).

Une marque, symbole de délices et de prix populaires et attractifs, attachée non seulement à la proximité physique de ma famille, du temps de la rue de Flandre, mais aussi à ma jeunesse collégienne banlieusarde, avant que les petits épiciers de quartier, où mes parents faisaient leurs courses, ne subissent l'assaut des grandes surfaces.

Voilà quelques citations pour mes sources :

"Félix Potin (1820-1871) crée son enseigne d’épicerie à partir de 1844. Il ouvre successivement plusieurs grandes épiceries dont la plus célèbre est située Boulevard de Sébastopol. A la fin du XIXe siècle, Félix Potin décide de fabriquer ses propres produits et d’y apposer sa marque. Il achète alors des terrains dans le quartier de la Villette. Les usines comprennent une chocolaterie, une confiserie et une confiturerie.

Aujourd’hui, il subsiste uniquement le bâtiment situé à l’angle de la rue Archereau et de la rue de l’Ourcq. Il abritait une conserverie et une usine de charcuterie. Construit par l’architecte Charles Le Maresquier, cet édifice présente de simples façades de meulière égayées par des faïences décoratives en gré flammé et par des bandeaux horizontaux en carreaux de porcelaine. 

Rénové en 1986, le bâtiment accueille aujourd’hui un centre de formation (1). L’empire Félix Potin est au début du XXe siècle le distributeur d’alimentation le plus important au monde. Il périclite après la Seconde Guerre mondiale et ferme définitivement ses portes en 1995."



Détails des façades. Cliché MTP. 





Archives nationales. Collection Musée Carnavalet.


De fait, ce bâtiment qui est ainsi rendu solitaire et un peu incongru, ne constitue qu'un signal. On parle de quatre hectares d'usines, d'entrepôts, de magasins, aujourd'hui disparus, mais dont ma famille a connu le dédale. 

La photographie aérienne issue des archives nationales en témoigne.

Un nouveau dédale a remplacé l'ancien complexe. Il est le fruit des démolitions et des reconstructions que les décennies de 60 à 90 ont façonné entre la rue de Cambrai et la rue Curial ou en bordure, de part et d'autre de la rue de l'Ourcq. 

Ils entourent donc la résidence où je loge aujourd'hui, elle-même issue des aménagements qui ont engloutis l'ancienne boulangerie familiale, lors de l'élargissement de la Rue de Flandre que j'ai déjà évoquée.  

Ce dédale fait alterner des espaces verts, des écoles, des gymnases, des allées et des barres d'immeubles où les balcons dessinent des motifs à la Grecque.

C'est là que se sont manifestés quelques architectes devenus aujourd'hui les références urbanistiques des grands ensembles et des cités des années Pompidou et Giscard d'Estaing, jusqu'aux années Mitterand.  

C'est ainsi que je retrouve Michel Holley responsable de l'architecture de la Tour Antoine et Cléopâtre où je viens de passer deux ans. Il a structuré l'espace situé entre la rue de l'Ourcq et la rue Archereau (Résidence Île de Flandre) où j'ai trouvé le service de proximité de différents cabinets médicaux et d'une pharmacie.(2)



Ensemble Curial-Cambrai, le long du passage Colette Magny. Clichés MTP.





Mais dans la proximité, l'ensemble le plus marquant est considéré comme "la plus grande cité de Paris". 

Les architectes de cet ensemble Curial-Cambrai qui s'étend jusqu'à la gare du RER Rosa Parks  (3), sont : André Coquet, qui a oeuvré en collaboration avec D. Auger, Jean-Pierre Cazals, P. Hayoit de Bois-Lucy et Bernard-Jean Massip, ainsi qu'avec le Groupe d'Etude "L'Oeuf" pour l'aménagement visuel des parties communes.



Mosaïques. Groupe d'Etudes l'Oeuf. Rue de Crimée et ensemble Curial-Crimée. 



Ainsi, dans ce jeu de proximité / éloignement qui remplace les explorations de mes années européennes, je trouve le moyen de me ressourcer au contact familial de moments disparus inscrits dans trois siècles et que j'ai eu le chance de partager, y compris avec mon arrière grand mère, née en 1861 et qui m'a raconté, jusqu'à sa disparition à quatre-vingt quatorze ans, quelques-uns des souvenirs des années où Félix Potin inventait le commerce populaire et le capitalisme commercial intégré dont d'autres familles, comme celle d'Edouard Leclerc, après la seconde guerre mondiale, se sont certainement inspirés.   


(1). Il est sans doute fait allusion à l'école qui s'inscrit dans la continuité du  bâtiment rue Archereau, mais d'autres utilisations sont certainement en projet. 

(2) Engagé aux côtés de l’architecte Raymond Lopez dans l’opération Front de Seine (le quartier Beaugrenelle), puis dans l’opération Italie 13, l’architecte Michel Holley (1924-2022) a occupé une place fondamentale dans l’histoire des tours de logements à Paris. En 1973-1978, il réalise ce vaste ensemble de 830 logements constitué de petites tours de sept à treize étages.

(3) La Gare Rosa Parks dont le nom est particulièrement symbolique de l'affirmation de droits civiques et ethniques, et le quartier qui l'entoure méritent un développement sur mes promenades de proximité, que je prépare pour un prochain post.  

(4) Malgré l'arrêt du milieu des années 90, la marque Félix Potin s'est restructurée en participant à un réseau de distribution France Frais : "Au sein duquel nous avons fait de la qualité de service à nos clients un élément essentiel : l’adhésion au réseau France Frais c’est la souplesse d’une PME avec la force d’un grand groupe. Félix Potin, c’est chaque jour 140 salariés qui coopèrent pour vous apporter les meilleures solutions produits et services."

Un un site web présente l'histoire commerciale de la marque et ses activités contemporaines, ainsi qu'un site web de commande en ligne. 


Autres sources en dehors des liens plein texte :
Philipp (Elizabeth), Guide du Promeneur 19e arrondissement, Paris, Parigramme, 1994.
Laborde (Marie-Françoise), Architecture industrielle Paris & alentours, Paris, Parigramme, 2003.

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