Paris est tout petit

 


Raoul Dufy

"Paris est tout petit

c’est là sa vraie grandeur
Tout le monde s’y rencontre
les montagnes aussi
Même un beau jour l’une d’elles
accoucha d’une souris

Alors en son honneur
les jardiniers tracèrent
le Parc Montsouris

C’est là sa vraie grandeur

Paris est tout petit."

(Jacques Prévert, Grand Bal du Printemps)




Curieusement, je ne savais pas par où commencer. 

Le désir était là : de retour à Paris depuis trois années. Un an et demi sur un balcon ou derrière une fenêtre de l'Avenue d'Italie à rechercher la silhouette de la Tour Eiffel. 

Et huit mois depuis décembre dernier dans un quartier du 19ème arrondissement où les fenêtres et les balcons respirent l'odeur des arbres de jardins creusés dans une ancienne zone industrielle et dont les allées boisées et fleuries laissent passer les vélos et les trottinettes électriques. 

Comme si je m'étais vraiment posé ! Là même où je marche chaque jour sur le sol de rues qui se sont radicalement transformées depuis les années Pompidou, mais où mes parents ont croisé leurs chemins, leurs regards, il y a bientôt cent ans.

De ce fait, j'aurais pu nommer ce blog : "Un retour aux sources". 





Ce ne serait que justice puisqu'il me suffit de remonter la rue de l'Ourcq ou la rue de Crimée, en franchissant le canal sur une passerelle métallique ou sur un pont tournant, pour remonter vers Belleville, atteindre la Place des Fêtes et humer l'odeur du Parc des Buttes Chaumont dont je consomme le miel. Je veux dire : consommer au sens propre, grâce à une apicultrice bourguignonne qui a placé des ruches à mi-chemin entre le Parc de La Villette et les hauteurs du 20ème arrondissement   

Dans les deux espaces verts, je prends plaisir à retrouver les manèges, dont certains, près du lac voulu par Edouard André, tournaient pour moi, pendant mes cinq premières années.

Je suis né à Paris. 

J'ai étudié à Paris. 

J'ai enseigné à Paris.

J'ai préparé des expositions à Paris dans deux grands musées : celui des Arts Décoratifs où mon bureau Renaissance ouvrait sur la rue de Rivoli et celui de la Cité des Sciences et de l'Industrie que je regarde aujourd'hui avec prudence avant d'y pénétrer de nouveau, pour l'avoir habitée et arpentée l'année de son ouverture, en ayant peur d'y trouver trop de changements. 



J'ai marché dans presque toutes les rues de Paris, mais en cheminant devant des façades d'immeubles ou dans les allées de parcs préférés, jusqu'à épuisement du regard. 

Je viens en quelque sorte de me réfugier dans "ma" ville, comme dans un dernier abri.

Après vingt-cinq années à parcourir l'Europe, en gardant des ports d'attache à Strasbourg, puis à Echternach au Grand-Duché de Luxembourg, j'aurais dû me sentir transformé et plutôt, déboussolé. 

Mais c'est pourtant le contraire ! Je sens que je suis inexorablement resté un Parisien.

Et pourtant, j'ai baigné plusieurs années dans cette ville monde, pourtant profondément tributaire de l'histoire alsacienne. 

J'ai émigré ensuite dans un village où les Portugais constituaient une part importante de la population et où les Allemands venaient chaque jour faire le plein d'essence. 

Puis je suis de nouveau revenu dans cette ville de rencontres internationales et d'instances européennes dont le Marché de Noël a rythmé les années, dans l'attente inquiète d'un attentat. Une ville créatrice et fondatrice de l'Europe et du désir de paix, ces valeurs que j'ai défendus pendant presque quarante ans.

Mais l'ancre était encore attachée à une borne des canaux bordés de péniches qui structurent le Nord de Paris, afin que je vienne m'asseoir sur un banc, près de l'eau, comme si des membres de ma famille étaient toujours présents à mes côtés et veillaient sur moi.


Et les souvenirs sont revenus en nombre. 

Et le désir, sinon de marcher de nouveau des heures dans les rues, du moins de marcher dans ma tête avec les compagnes, les proches, les amis des jours heureux, puisque mes jambes ne suivent plus toujours mes rêves. 

Pourtant, quand je circule, chaque perspective qui s'ouvre ressemble à un chapitre heureux.

Je connais de long terme ce café et les clients de ses terrasses. 

Je possède un morceau de ce parc où les oiseaux sont pourtant moins nombreux que dans l'après guerre. 

J'ai déjà regardé au fond des yeux ces perspectives qui descendent des collines. 

Depuis le belvédère de Montmartre, icone picturale . 

De Montparnasse, vers la rue de Rennes et Saint-Germain des Près. 

Ou de la rue d'Alésia en rejoignant "mon" Quartier Latin.  

Je suis venu de nouveau me planter devant la vénérable Sorbonne, aspirer l'air des jardins de l'Ecole Normale Supérieure et chercher le reflet disparu de mes étudiants sur les verrières déjà vieillissantes des laboratoires de Jussieu qui tentent vainement de rivaliser avec les moucharabiehs de l'Institut du Monde arabe. 

Je mesure le temps passé de la capitale, depuis celui des pierres universitaires du Moyen-Âge qui côtoient les enfilades Haussmanniennes omniprésentes, tout en détestant avec constance les enfilades métalliques anonymes que j'ai vues se construire sur les voutes des caves de la Halle aux vins. Ces caves enterrées et humides, débarrassées de leurs futs et où j'ai suivi des travaux pratiques de biologie, avant qu'elles ne soient recouvertes de bitume.

Et toutes ces contradictions historiques et architecturales constituent une totalité où je ne peux infiltrer un début de travail de classement touristique. Sinon, en posant sur une carte, un ensemble de repères dont la valeur relative reste seulement intime.

Je ne serai jamais touriste dans ma ville.   


Si Paris est "tout petit" parce que je peux le circonscrire, ni dans mon coeur, ni dans ma tête, Paris reste une fête perpétuelle.

La  fête nocturne des personnages du film de Woody Allen "Midnight in Paris" ou de ceux du roman d'Hemingway "A Moveable Feast" dont le titre figure en incipit de ce blog.   

Avec eux, j'attends de rencontrer Gertrude Stein, Scott Fitzgerald ou Ezra Pound, que je n'ai pas connus, tout en préparant avec enchantement la liste de tous ceux que j'ai réellement croisés, volontairement ou par hasard.  

Dans les lieux où je les ai salués. 

Entre rêve et réalité palpable.

Entre la proximité familiale ou familière de ceux qu'on aime et l'admiration respectueuse de ceux qu'on admire de loin.

Entre les inoubliables promenades amoureuses et les nombreuses célébrations musicales, picturales ou théâtrales.

Tout en un ! 

A la recherche de mon temps perdu ! 

 Raoul Dufy. Vue de Paris depuis Montmartre. 1902.


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