A la recherche d'un Paris disparu. La rue de Flandre.



Porte de Flandre. Cliché MTP.


Revenir à Paris en étant certain que ce sera la dernière étape après Neuvecelle et le Lac Léman, Strasbourg et ses contours européens, Echternach à la frontière allemande et le Grand-Duché de Luxembourg, ne faisait pas partie de mes priorités.

Même si la capitale constitue un port d'attache fondateur.

Même si j'y suis né. 

Même si mes parents s'y sont rencontrés. 

Tout cela parce que mes grands-parents sont venus y habiter et y travailler, face à face, de part et d'autre d'une rue qui indiquait a priori son rapport géographique, voire sa continuité avec le Nord-Ouest de la France. Et même, encore plus, ses attaches historiques avec les horizons des champs de betteraves ou de lin qui se poursuivent au long des côtes jusqu'aux horizons de Bruges et même de la Baltique. 



Avenue de Flandre. Cliché MTP.


Ou pour me situer au plus près de mes préoccupations textiles : en lien avec ce grand royaume de la tapisserie arrageoise dont l'histoire paraît être étroitement liée au déclin de l'industrie drapière dans la région (1) :

"Jusqu'en 1200, à toutes les étapes de la route commerciale qui va de Flandre aux bords de la Méditerranée, ce sont les marchands et les produits d'Arras qui ont frayé la voie aux autres." Mais au XIIIème siècle, le Brabant finira par l'emporter sur l'Artois (2).



Tapisserie de Saint Vaast. Arras.


Rue de Flandre, étroite en ce début de XXème siècle, coupée de canaux au Nord et rejoignant le centre parisien en dessinant une parallèle avec le canal de l'Ourcq, puis le canal Saint Martin, étapes de péniches marchandes, devenues aujourd'hui très largement récréatives. 

Canaux qui sont devenus les saillies de mes propres promenades favorites depuis quelques mois. 

Comme si l'air d'un ailleurs nordique soufflait entre les arbres au dense feuillage à peine traversés par la lumière d'été.

Comme si ces plantations urbaines censées reconquérir le passé arboré de la ville, regardaient avec un certain sourire une Porte rendue obsolète et dont le nom "De Flandre" constitue cependant une clef de cette histoire devenue mienne.

Autant de liens physiques et géographiques, maintenus quasiment intacts grâce à des canaux et des rivières qui permettaient le transport fluvial de productions agricoles plus lointaines, venues de Picardie, des Flandres française ou belges.

Autant de liens fonctionnels et sociaux avec la banlieue proche où l'industrie aéronautique, regroupée près du Bourget, attirait au début du siècle précédent les spécialistes du travail des métaux.



Canal de l'Ourcq. Quai de Seine. Cliché MTP.




Ces routes chaussées et fluviales amèneront différentes branches de ma famille maternelle à rejoindre ce XIXème arrondissement à la limite d'une capitale parisienne qui n'a cessé de s'agrandir, pour y travailler temporairement, puis pour s'y établir définitivement, quitte à investir d'autres périphéries après le second conflit mondial du siècle qui les touchera tous de près, parfois dans leur chair

De l'aéronautique, ils intègreront l'industrie automobile, répondant ainsi à la croissance du niveau de vie populaire de l'après-guerre. Industrie qui se disséminera à l'Ouest, le long de la Seine, au Sud proche, à proximité de la Bièvre, tout comme à l'Est, près de la Marne, sans déserter pour autant le Nord, dans la continuité mécanique de l'envol des avions, devenu un envol confus et bientôt encombrant de véhicules polluants, modelant l'urbanisme à de nouveaux besoins de masse.      . 

Des voitures qui attendaient, depuis le début des congés payés, que les conflits se terminent et fassent renaître l'espoir d'une industrie saisonnière touristique à l'assaut de l'ailleurs dépaysant, devenant une exigence individuelle impérative pour les déplacements quotidiens, que le dessinateur Sempé a si bien croqué.

Rue de Flandre ou la famille de mes grands-parents paternels est venue, depuis une ferme des grands plateaux calcaires agricoles de la Brie, apporter une connaissance des céréales et du bon pain, en ouvrant une boulangerie à proximité de ces regroupements industriels devenus parisiens. 

Et à proximité de fortifications qui ne défendraient plus rien en 1940, mais dont la déshérence servait de pâturage à des chèvres qui ne dédaignaient pas de quémander du pain ou des brioches à leurs chevriers, investissant en troupeaux l'approche des vitrines et des étals croustillants disposés par ma grand-mère paternelle et mon oncle, qui pétrissait dès l'aube.

Boulangers et ouvriers, installés de part et d'autre d'une rue où j'imagine mes parents se croiser, ou bien se regardant d'un balcon à l'autre.   



Boulangerie Penette - Paul. Rue de Flandre. Vers 1925.


De part et d'autre d'un axe qui structure cette entrée de Paris et fera de moi un Parisien du boom des naissances. 

D'une rue qui est devenu aujourd'hui l'Avenue de Flandre, en élargissant ses trottoirs, en récupérant son espace central ombragé, mais en faisant disparaître l'immeuble de cette boulangerie dont je rêve sur le témoignage de clichés jaunis. 

Des démolitions considérables de la plus grande partie des friches industrielles qui laisseront place, à la fin des Trente Glorieuses, à des "résidences" dont le style est déjà devenu "historique" tant il marque les années 70.

Et c'est là même où je suis redevenu Parisien, en marchant sur les revêtements qui ont recouvert les pas quotidiens et les regards amoureux de mes parents. 

A proximité des bâtiments de stockage restaurés du "Pont de Flandre".

A proximité d'une ligne ferroviaire abandonnée : la "Petite ceinture".

A proximité encore plus grande de l'ancienne usine "Félix Potin" dont le bâtiment m'interpelle tous les jours, au point de m'inviter à commencer à écrire plus formellement sur lui. 

Un Paris disparu dans ses fonctions fondatrices de capitale humaine, mais dont l'architecture ou l'urbanisme fantômes sont si présents que mon regard temporaire, souvent divergent, superpose sans efforts les époques depuis la migration familiale des campagnes vers Paris.

(1) L'art textile. Broderies, Tapisseries, Tissus, Sculptures. Skira 1985. 

(2) Henri Laurent. La draperie des Pays-Bas en France et dans les pays méditerranéens. 1935. 



Résidence des Elders. Avenue de Flandre, rue de l'Ourcq, rue de Cambrai. Clichés MTP.





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